Le cinéma se met à table ! ()
En plusieurs morceaux de choix, devrions-nous dire, nous allons vous faire découvrir un article de Sonia Bressler, sur le lien entre cinéma et les arts de la table. Nous allons ainsi tantôt savourer, tantôt dévorer le lien culinaire entre plusieurs films... Que disons-nous ? À Table !
"Drôle de paradoxe que les films qui évoquent la cuisine. Le cinéma est, avant tout, le plaisir des yeux, comment peut-il réussir à nous faire dévorer des plats ? Quel rôle ont les images dans le plaisir gustatif ?
Les films où la cuisine a le rôle titre sont souvent un régal pour les yeux. Parfois ils nous font mourir de rire. D’emblée, nous sommes dans une dualité sensorielle mais aussi culturelle. Ils nous familiarisent avec d'autres univers, mais peuvent aussi nous couper l'appétit. Ils mettent en scène aussi bien la sensualité que la passion dévorante, voire la vengeance amère. Jouant sur cette dualité, il s’agit ici de mettre en scène différents films traitant de la cuisine ou de l’art culinaire afin d’en orchestrer tous les sens, toutes les saveurs. Ainsi en comprendrons nous toute la dimension anthropologique.
L’amour à la table
Les douleurs de l’amour et l’art de la table se cuisinent et se savourent au cinéma sans modération. Nos yeux de spectateurs se ferment sur des larmes imaginaires et nous sommes même capables de dévorer des plats et d’en ressortir l’extase. Alfonso Arau réussit, en 1992, cet exploit dans les épices de la passion (Con Agua Para Chocolate). En 1895, Tita naît sur une table de cuisine. Benjamine de la maison, elle est vouée à servir sa mère et, donc, au célibat. Cette adaptation du roman de Laura Esquivel explore les saveurs d’une passion plus forte que le temps. Elle abolit littéralement la frontière entre le sexe et la nourriture. Tita doit préparer un repas et le servir, sans y participer. Sa famille est là, ainsi que l’homme qu’elle aime. Pour faire passer son message au jeune Pedro, elle met tant d’amour dans sa cuisine, tant de sensualité, que tous ceux qui goûtent sa cuisine ont un orgasme.
Comment ne pas penser ici au délicieux Quand Harry rencontre Sally de Rob Reiner (1989) ? Déboussolés comme des enfants soudain lâchés dans la cour des grands, Harry et Sally hésitent entre le jeu de l’amour et du hasard et celui du chat et de la souris. Ils se sont rencontrés à l’université de Chicago. Ses grandes chaussettes de laine défiaient quiconque de trouver du charme à Sally. Harry avait pour salle habitude de cracher bruyamment des pépins de raisin et de tenter sa chance auprès de toutes les femmes. Autour d’une table, ils évoquent leurs vies parallèles. Sally est maniaque à table. Tout doit être servi séparément. Et pourtant demeure cette scène mémorable de son orgasme simulé dans le restaurant «Katz's Delicatessen» à New York. Un morceau d'anthologie.
Dans un tout autre registre, les Mille et Une Recettes du cuisinier amoureux (1997) de Nana Djordjadzé, nous entraîne dans l’amour de l’art. Ce film prône l’amour de la chair et de la bonne chère comme acte de résistance. Lorsque les staliniens envahissent la Géorgie, le héros, patron d’un restaurant réquisitionné, résiste. Non en prenant les armes, mais tout simplement en notant des recettes sur des feuilles de papier. Il a cette phrase magistrale « les communistes disparaîtront, la bonne cuisine, jamais ». L’art comme la cuisine sont les seules armes, douces mais imparables, pour lutter contre les malveillants.
Evoquer l’art de la table, l’amour et la joie qu’il procure, ne peut se faire sans parler du film le Festin de Babette de Gabriel Axel (1986). Issue d’une nouvelle de Karen Blixen, il narre l’arrivée de Babeth, fuyant les répressions de la Commune, chez deux sœurs très pieuses d’un village isolé du Danemark. Elle y découvre des habitants tristes. Sans saveurs, réduits à se nourrir exclusivement de la morue bouillie. Un jour, Babette remporte à la loterie. Pour exprimer sa reconnaissance, elle décide d’offrir à la communauté, épouvantée, un vrai repas. Son menu est le suivant : soupe à la tortue, blinis Demidoff, cailles en sarcophage, arrosées de Clos Vougeot. Autant de délices ignorés remplissent les habitants d’un bonheur et d’un ravissement. Avec ce festin, ils découvrent la vie et ses joies.
Autre festin, autre angoisse. Ang Lee, avec Salé sucré (1994) nous plonge au cœur de la cuisine de monsieur Chu. Eminent cuisinier et respectable veuf. Il vit avec ses trois filles dans la grande maison familiale de Tapei. Viandes rutilantes, légumes finement sculptés, pâtes pétries, rôties, fumantes… Tous nos sens sont en éveil, au fur et à mesure que M. Chu perd les siens. Enfermé dans un digne refus du présent ou « refoulé comme une tortue » comme le souligne un ami cuisinier. Son goût, si raffiné, si exceptionnel, s’efface peu à peu, symbole de son angoisse face à la mort, de la vacuité d’une vie passée à exceller dans un art périssable. "
À suivre "les saveurs du passé"
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